Le Squal a écrit:J'attends la suite de tes réflexions avec intérêt Mad, et entre temps : un complément de ma part.
Cà y est, je suis de retour. Voici les références pour Guigui.
Ouvrages :
"DOL de Philippe Squarzoni éd : les requins Marteaux"
"L'impossible connaissance statistique, L. Mucchielli, in Panoramiques, Politiques, cultures et sociétés, Etre flic aujourd'hui, numéro 33 ; 2ème trimestre. 1998."
"Regard sociologique sur l'évolution des délinquances juvéniles, L. Mucchielli, Claris, avril 2004"
"Les comptes du crime : les délinquances en France et leurs mesures, Ph. Robert, 1994"
"Ordonner le désordre, une contribution sur les indicateurs du crime, F. Ocqueteau, La documentation française, Ed. 2002"
"Violences et insécurité, fantasmes et réalités ..., L. Mucchielli, La découverte, 2002."
"La volonté de punir, Denis Salas, Ed. Hachette Littérature."
"Rapport 2005 et 2006, Observatoire national de la délinquance".
"Un exposé de 300 pages très intéressant écrit par des élèves de DEA de droit pénal
".
Le Squal a écrit:Quand je m'élève contre les critiques sur le système actuel, c'est surtout pour souligner qu'on connaît les défauts de ce système (les abus des policiers qui travaillent trop par rapport aux chiffres à rendre par exemple).
Tu ... les connais, et c'est toujours intéressant de les rappeler. Mais, pas comme c'est souvent le cas pour dire que c'est une fatalité, une sorte de normalité, mais pour dire qu'ils sont les conséquences d'une politique volontaire, qui peut donc être combattue.
Le Squal a écrit:On sait tous que le politique est lié au judiciaire (c'est le ministre qui définit les méthodes de travail de la police entre autre).
Même chose qu'au dessus.
Le Squal a écrit:Mais il serait plus constructif de réfléchir sur les façons d'améliorer le système que de tempêter contre lui et remettre le tout en cause.
D'une part, je te prierai de ne pas limiter mon activité militante à un post sur un forum de jeu de rôle.
D'autre part, je remets le tout en cause, car contrairement à ce que tu as l'air de penser, une politique menée par un gouvernement est un tout, tout comme le fonctionnement d'un système. Ce n'est pas un morcellement de réformes éparses (de la police, du fonctionnement économique ...) et sans liens entre elles. Ce qui m'intéresse moi, c'est de rechercher ces liens, et de les faire ressortir, pour insister auprès des gens que je peux renconter dans divers mouvements sociaux auxquels je participe sur cet aspect plus global des choses. Sinon, on perd de vue le projet politique qu'il y a derrière.
Le Squal a écrit:Pourquoi ne pas essayer de trouver des solutions pour rendre les statistiques plus proches de la réalité tout en évitant le piège de la course aux chiffres ?
Parce que mon but n'est pas de proposer des solutions de compromis, mais d'essayer de faire fonctionner la société différemment. Car je ne comprends pas vraiment ce que tu veux dire quand tu parles de proposer des solutions pour améliorer les choses. A qui ? Qui appliquerait ces solutions dont tu parles ? Quand le but des politiques est de se servir de ces stats pour manipuler l'opinion publique, proposer à ces gens d'améliorer le système de lecture de stats, ce qui est d'ailleurs fait dans la bibliographie que je cite, mais non utilisé, c'est un peu perdre son temps.
Mais la question de départ n'était pas celle là, tu parlais dans ton premier post d'une loi qui allait dans le sens du tout répressif.
Le Squal a écrit:Pourquoi ne pas essayer d'améliorer le système carcéral plutôt que de chercher à ajouter des rustines pour compléter son action (les associations font un travail formidable de réinsertion, mais elles ne sont là que parce que la prison ne peut/sait pas faire...) ?
Parce que tu penses que les gens qui militent pour améliorer le système carcéral ne sont pas les mêmes qui sont dans ces assoces ? Ils aimeraient bien que ce soit fait, ils se battent pour çà. Et quand tu dis, ne sais pas/peut pas, c'est plutôt "ne veut pas faire".
Le Squal a écrit:En clair : si l'intention est bonne (et ça se voit), ta démarche me paraît surtout compliquer les choses, et dieu sait que la complexité n'a jamais solutionner des problèmes de ce type.
Pascal
Je ne comprends pas ta dernière phrase. En quoi cela complique ? Quelles choses ? En quoi mon intention te paraît-elle bonne ? Qu'est ce que dieu vient faire là dedans ? Et surtout, la création d'un rapport de force différent de ce qu'il est l'heure actuelle, pour diminuer les inégalités sociales
me paraît être une bonne chose. C'est ce qui nous a obtenu la plupart de nos acquis sociaux. Et l'engagement dans ces luttes ne se fait pas en proposant à des gens qui n'ont aucun intérêt à les mettre en place, des réformes pour améliorer les choses.
Pour finir.
"Grâce" à la tolérance zéro (principe qui sous-tend toutes les lois répressives qui passent ou tentent d'être passées en ce moment et qui permet de redonner une "certaine" crédibilité aux politiques malgré le fait qu'au niveau social, c'est la grande régression), il devient inutile de s'interroger sur les causes, inutile de parler de la pauvreté dont les politiques pourrait être tenu pour responsable. Mais la violence existe, et la comprendre n'est pas la justifier, on peut à la fois la dénoncer et dévoiler la nature des politiques sécuritaires.
En ce moment, les cadors du monde politique s'accordent pour dire qu'il faut plus de moyens pour la répression. Une poignée d'"experts" limitent leur analyse à une approche gestionnaire des effets : celle de "la lutte contre la violence urbaine". Pourtant, la légitimité de ces experts est souvent douteuse (ancien membre d'organisations d'extrême droite, PDG de boîte de conseil en sécurité urbaine qui vend des solutions aux dangers qu'il décrit ...).
La préoccupation sécuritaire envahit l'espace public. Les chiffres de la délinquance donnés par la police (qui ne mesure en fait que le rôle répressif de la police), malgré leurs lacunes (le secrétaire général du syndicat des commissaire et hauts fonctionnaire de police, M. André Michel en dit lui même : "il est partial, fractionnaire et parfaitement imprécis (...) En revanche, il n'est pas inutile car il permet de dégager les grandes tendances prévisibles sur de longues périodes") reviennent rituellement dans la presse. Et à notre époque de précarité sociale, quand Michelin annonce des profits records assortis de licenciements par milliers, et que le gouvernement renonce à garantir la sécurité de l'emploi (CNE, CPE, multiplications des CDDs, privatisations ...etc), renforcer la légitimité des institutions politiques devient essentiel. Dans la nouvelle donne sociale, qui voit les gouvernements se dépouiller de leurs capacités d'intervention économique, le traitement pénal de la misère devient l'artifice idéal pour réafirmer la puissance de l'état.
D'un côté on dérégule l'économie, on baisse la fiscalité pour les plus riches (impôt sur le revenu diminué, diminution de l'ISF), d'un autre, on s'attaque aux revenus des personnes âgées (réforme des retraites) et des chômeurs (réforme du temps d'indémnisation des chomeurs) tout en renforçant le système pénal.
On détourne les inquiétudes à coup de vols de voiture, trafics de drogue et dégradations de boîtes aux lettres (la petite délinquance a bizarrement commencé à monter au moment de la fin de la période de plein emploi dans les années 70). Cette stratégie de dépolitisation permet de transformer les problèmes de sociaux en question de sécurité (sécurité, qui est le sujet le plus traité lors des présidentielles de 2002. A ce moment là, c'est la surenchère). On en revient à la mission historique du système pénal, gérer la misère et les classes populaires. Il faut discipliner le salariat destiné à l'emploi précaire pour qu'il rentre dans la nouvelle norme économique.
Dans un des pays d'europe qui compte le plus de force de l'ordre, 220000 policiers et gendarmes, les dispositifs policiers se multiplient encore (groupement locaux de traitement de la délinquance, maisons de la justice et du droit, chambres de comparutions immédiates). Mais en France, deux siècles de luttes sociales ont créé un système de droits économiques et sociaux (droit du travail, de l'enseignement libre, à la santé, de grève ...) qui font obstacles à une pénalisation stricte de la misère.
Alors comme le but (le projet politique qui soustend les lois) n'est en fait pas une lutte contre l'insécurité (et pas seulement physique, mais aussi économique, sociale ... etc) et ses causes profondes, les politiques font de la "lutte médiatique contre l'insécurité". Et les chiffres de l'augmentation policière ne signifient pas forcèment grand chose.
Si on veut démontrer que la police est efficace, on peut mettre un policier au coin de la rue. Il va mettre des PV au feu rouge. Et à la fin de la journée, il aura fait du chiffre en "affaires résolues" (c'est d'ailleurs selon ce type de stats que les moyens sont distribués entre commissariat). Il suffirait de mettre des policiers à la sortie des bars où des gens se murgent la gueule régulièrement pour que plusieurs personnes s'en prennent aux policiers. On sait aussi où trouver des actes de délinquance peu importants (possesseur de barrette de shit ...etc). Cela pose le problème des priorités et des moyens. Au tribunal correctionnel, les affaires d'usage de drogues douces occupent souvent une part importante des audiences. Et la justice se retrouve à juger à longueur de temps des délits mineurs, concernant de simples usagers que dans certains cas, la sanction va socialement désincérer.
Cà pose la question de l'emprisonnement, qui dans le cas d'un meurtrier a une justification, mais qui lorqu'il s'agit du consommateur de cannabis ne règle rien.
Contrairement à ce que veut faire croire le discours sécuritaire, l'emprisonnement ne rèsout pas le problème de la délinquance. Et traiter la criminalité uniquement de façon policière et pénale, sans agir sur les conditions économiques et sociales produisant la délinquance, c'est l'inefficacité garantie.
De la politique sécuritaire, résulte un entassement des détenus dans les prisons. Qui sont des machines à récidive. Selon les stats du ministère de la justice, 65% des personnes condamnées à de l'emprisonnement ferme retourneront en prison, mais seuls 11% de ceux qui ont bénéficié d'une peine de sursis simple ou d'une libération conditionnelle récidiveront.
Parce que non seulement l'efficacité des politiques pénales est très faible, mais l'incarcération ne fait qu'intensifier la pauvreté.
50% des personnes entrant en prison sont sans emploi, ils sont 60% à la sortie. Les mêmes causes produiront les mêmes effets.
Pour enrayer ce cercle vicieux, la finlande, qui avait un taux d'incarcération très élevé a fait le choix politique de le baisser radicalement. La criminalité n'a pas augmenté pour autant. Le japon a également un taux très bas, sans explosion de la criminalité. Le taux d'emprisonnement d'un pays caractérise moins la volonté d'efficacité qu'un choix politique et culturel. Ce qu'il révèle, c'est le type de société qu'on décide d'être.
Des lois spectacles encadrant toujours les plus précaires (prostituées, clandestins, "jeunes de banlieues"...etc) sont donc votées sans que le problème de la délinquance (quelle qu'elle soit, car nous avons part définition, un président de la république délinquant, des députés délinquants, des présentateurs télés aussi ..., et la liste est longue) ne soit résolu. La population carcérale a augmenté de 14% depuis 2001, 62000 détenus en 2004.
Et pendant ce temps, la population sus-citéé trinque.
Et des lois dangereuses et terriblement efficaces passent à côté des lois effets d'annonce (comme celle sur le racollage passif, totalement inefficiente).
On voit par exemple apparaître la criminalisation de la mobilisation sociale qui conteste le coeur de cette politique. Des gens ayant hébergé des sans papiers sont poursuivis. Des syndicalistes, des manifestants (infirmières, internmittants ... etc) se font charger par la police, mettre en garde à vue.
Et pendant que l'état dépense son énergie à réprimer les formes les plus visibles et bénignes de la délinquance, des pans entiers de la criminalité sont délaissés.
Le ministère de la justice reconnaît lui même qu'il "privilégie d'une part, et sur dimensionne d'autre part (...) le traitement de la petite et moyenne délinquance au détriment de la délinquance économique et financière".
L'attention des médias et concentrée sur ces "priorités" et des problèmes plus complexes ou plus discrets sont délaissés, comme par exemple, celui des accidents du travail.
Pourtant, le nombre de décès pour accident du travail est supérieur à celui des décès par homicide volontaire. Mais personne n'en parle. On préfère parler des agresseurs de petites vieilles et faire des lois calibrés pour eux. Chaque semaine, 10 salariés meurent d'un accident du travail.
La probabilité de mourir avant 60 ans dans la police et de 15%, elle est de 20% chez les ouvriers spécialisés et de 28% chez les manoeuvres.
Pourtant, jamais un communiqué officiel d'un ministre pour le décès d'un ouvrier du bâtiment.
On pourrait aussi parler d'insécurité à ce propos. Pourtant, nada. Enfin nada, j'exagère, en 2001, les journaux de TF1 (chaîne la plus regardée en France), deux reportages ont été consacrés aux accidents du travail, soit 0,02% des 10000 sujets traités. Dans le même temps, on a eu 1190 sujets sur l'insécurité.
En 93, 14% des entreprises ont été contrôlées contre 30% en 74, et sur un million d'infractions constatées en 95, seules 3% ont donné lieu à une observation ou une mise en demeure.
La fameuse tolérance zéro ne s'appliquerait donc pas à cette forme de délinquance pourtant infiniment plus grave et coûteuse que la petite délinquance ?
En 96, la fraude fiscale et douanière pesait 100 milliards de francs. Celle aux cotisations sociales plus de 17 milliards.
A titre de comparaison, la perte financière due aux vols de voitures était estimé à 4 milliards de francs et à 250 millions de francs pour les vols en magasin.
Donc le discours sécuritaire. C'est tout bénéf, et çà permet en plus de faire construire des prisons (un gâteau de 1,3 milliards d'euros). Les cantines de prisons sont aussi un marché (c'est la société Sodexho qui se frotte les mains), idem pour les vidéos surveillances.
La question de la délinquance et de la réponse policière est plus vaste que ce à quoi elle se trouve réduite par l'"émotion médiatique" et la succession de faits divers balancés tous les jours dans les unes, ou par les politiques, prêts à l'exploiter.
La pensée sécuritaire n'est pas pragmatique, elle relève d'un projet politique qu'elle accompagne et complète.
Et quand les gens déoncent ou "tempêtent" contre la teneur du discours sécuritaire, ce n'est pas pour nier la réalité de la criminalité, ni la nécessité des réponses pénales à TOUTES les formes de délinquances.
Bon, j'ai essayé de faire court, en reprenant et adaptant différents passages des ouvrages que je cite.
La guerre est faite par des gens qui ne se connaissent pas , pour le plus grand profit de gens qui se connaissent très bien ...
P.V.